L'essor du vent, de Charles de Pomairols.
L'essor du vent.
Recueil : Les rêves et pensées (1880)
Dans mon pays où l'autan vole Avec un bruit désordonné,
Si quelqu'un a la tête folle,
On dit : C'est un homme « autané ».
C'est qu'en vérité ces tempêtes,
Sous qui les grands chênes tordus
En frissonnant courbent leurs têtes
Et penchent leurs bras éperdus,
Ces tourbillons de toutes sortes,
Ces poussières et ces oiseaux,
Ces vapeurs et ces feuilles mortes
Qui vont comme de grandes eaux,
Ces bruits de mer aérienne
Heurtée à d'invisibles bords,
La grande harpe éolienne
Qui vibre de lointains accords,
Ces frôlements sur le visage
Qui nous viennent on ne sait d'où,
Inspirent la folie au sage
Et font grandir celle du fou.
L'enfant pousse des cris de joie,
Bondit en l'air, et ne pouvant
Jeter au ciel son âme en proie,
Lance son chapeau dans le vent.
L'ivresse chantante des choses
Communique à l'homme un émoi
Qui lui prend ses pensers moroses
Et le fait sortir hors de soi.
Il entend sa lyre muette
Où des souffles passent encor,
Le penseur redevient poète,
Les songes reprennent l'essor.
Puis, hélas ! quand le vent retombe,
Un vide pareil à celui
Qui s'épand au fond de la tombe
L'accable d'un immense ennui,
Jusqu'au jour d'incertaine attente
Où la voix qui charme son cœur,
La voix sonore et palpitante
Viendra réveiller sa langueur.
Charles de Pomairols (1843-1916)