Les grandes menaces, de Paul Courty.

Les grandes menaces.

Recueil : Les heures sombres (1869)
N'écrase plus mon cœur, si tu ne veux pas voir
Mes viles passions sous ton pied se mouvoir
Et se redresser menaçantes,
Comme, aux jungles de l'Inde, un venimeux serpent
Sous le pied qui le presse apparaît en sifflant,
Et le mord de ses dents perçantes.

Ton prestige s'efface et n'est plus qu'un couchant.
L'heure de délivrance est bien proche, où ton chant,
Ô vile et trompeuse Sirène !
Ne dominera plus le bruit de mes sanglots,
Et tu plongeras seule au sein des âcres flots,
Où ta voix aujourd'hui m'entraîne.

Tes impures faveurs, je les payais trop cher.
Comme un chien ne reçoit sa pâture, os ou chair,
Qu'avec les injures du maître,
Ton amour, se mêlant aussi de trahison,
Au philtre du plaisir ajoutait le poison,
Dont les feux desséchaient mon être.

Et d'un sommeil pesant que toi-même as versé,
Si je dors sur ton sein, étrange enfant bercé
De quelque chanson caressante,
Ta main, qui sur mon cœur semble errer au hasard,
Choisit l'endroit propice où plonger le poignard,
Et ne s'éloigne que sanglante.

Et pourtant je pourrais te pardonner encor.
De mon cœur irrité je retiendrai l'essor ;
Mais fais-moi cette grâce insigne
De me dire comment, à quelle sûre loi,

Femme, l'on reconnaît les femmes comme toi,
À quel sceau fatal, à quel signe !


Paul Courty (1840-1892)