Les cœurs chéris que j'ai perdus, de Prosper Blanchemain.
Les souvenirs des cœurs chéris.
Recueil : Les poésies et sonnets (1868)
Frêle violette aux fleurs blanches, Qui sembles pleurer et te penches
Dans la verdure d'un tombeau,
Quand tu resplendis arrosée
Des diamants de la rosée,
Que ton éclat est pur et beau !
Mais pourquoi ta corolle aimée
S'ouvre-t-elle plus parfumée
Dans le froid vallon des douleurs ?
Pourquoi le champ de sépulture
D'une si brillante verdure
Te couronne-t-il sous nos pleurs ?
Sans doute c'est pour dire aux hommes
Que cet univers où nous sommes
Est un lieu d'espoir seulement,
Qu'au séjour de la vie éteinte
Le Seigneur sème sans contrainte
Tant de fraîcheur et d'ornement.
Germe, germe, pauvre fleur blanche,
Sous chaque larme qui s'épanche,
Et sous chaque rayon du ciel !
Je viendrai pleurer sur ta tige,
Où le papillon bleu voltige,
Où l'abeille amasse son miel.
Je viendrai gémissant me mettre
À genoux sous la croix de hêtre,
Sous le Christ aux bras étendus ;
Et mes larmes, dans le silence,
Couleront à la souvenance
Des cœurs chéris que j'ai perdus.
Prosper Blanchemain (1816-1879)