Le printemps des autres, de Charles de Pomairols.
Le printemps des autres.
Recueil : Les rêves et sentiments (1880)
Je ne puis contempler sans une sombre envie Ce doux printemps qui vient rajeunir l'univers,
Et dans l'horizon mort ressuscitant la vie,
Couvre de fleurs les pas fugitifs des hivers.
Quoi ! tous les ans, toujours, sans même attendre une heure,
Les chênes sentiront la caresse d'avril ;
Chaque année, au tapis de l'herbe inférieure,
La sève reviendra de son profond exil !
Et nous, nous qui voyons tant de fois la nature
Surgir hors de la neige ainsi que d'un linceul,
Nous qui voyons verdir l'infime créature,
Nous cherchons nos printemps et n'en trouvons qu'un seul,
Un seul, éclair pour l'un, moins rapide pour l'autre,
Mais qui, s'il a brillé, ne sera pas rendu,
Un seul que nous puissions vraiment appeler nôtre.
Et que, sans le goûter, quelques-uns ont perdu !
Je me plaignais ainsi. Mais j'ai vu la jeunesse,
J'ai compris, à l'éclat de ses joyeux vingt ans,
Que la terre n'est pas la seule qui renaisse
Et que l'homme connaît le retour des printemps.
Tout a le même sort, les hommes et les plantes
Qui livrent leur couronne éphémère à l'autan :
Après des floraisons plus courtes ou plus lentes,
Où vont la feuille morte et la rose d'antan ?
Mais bien qu'une saison lui prenne son feuillage,
Le tronc reste debout pendant plus d'un été,
Et l'homme qui vieillit voit aussi d'âge en âge
Verdir ton front chenu, durable Humanité !
Et s'il n'est pas nourri d'une moelle égoïste,
Le voilà consolé de son jaloux tourment ;
Loin que d'un cœur étroit sur lui-même il s'attriste,
Il goûte comme sien ton renouvellement !
Il jouit de ta joie, il sourit à la fête
Où viennent tour à tour les générations
Que l'arbre colossal porte à son heureux faîte,
Et sans regret s'éclaire à leurs jeunes rayons.
Charles de Pomairols (1843-1916)