Le dernier oiseau, de Maurice Bouchor.
Le dernier oiseau de l'année.
Recueil : Poème de l'amour et de la mer (1892)
Le dernier oiseau de l'année A chanté pour nous cette nuit,
Jusqu'à l'heure où la matinée
D'éclairs de pourpre environnée
Sur la pâle colline a lui.
Le tiède vent des mers lointaines
Est encor venu soupirer
Dans les forêts et sur les plaines,
Et, malgré l'hiver, les fontaines
Ont recommencé à pleurer.
Aussi, sous les noires ramures
Que dépouilla le vent du nord,
Le long des broussailles sans mûres
Nous avons ouï des murmures
Tristes et doux comme la mort.
Nous n'osions parler qu'à voix basse
Parmi le silence embaumé,
Voyant comme un rêve qui passe
Dans le mystérieux espace
Le spectre des vieux mois de mai.
Mais la bonne nuit nous apporte
Sans parfum d'herbe ni de fleurs
Un chant d'oiseau, de telle sorte
Qu'il fait en cette saison morte
Oublier les oiseaux siffleurs ;
Tous ceux qui, les ailes ouvertes,
Effleuraient les flots violets,
Ou qui du fond des masses vertes
Fêtaient les clairières désertes
De rondeaux et de triolets.
Mais le triste oiseau qui s'oublie
A chanter loin du printemps vert,
Jette dans l'âme recueillie
Une exquise mélancolie
Par de si douces nuits d'hiver.
Maurice Bouchor (1855-1929).