Le choix du tombeau, de Charles de Pomairols.
Le choix du tombeau.
Recueil : Les rêves et sentiments (1880)
Je cherche pour mon goût le meilleur cimetière, J'en visite plus d'un afin de bien choisir :
Après divers essais j'ai trouvé pour ma bière
La place qui pourra contenter mon désir.
Je veux reposer là, loin des bruits de la foule,
Dans la plaine où blanchit tout seul le champ des morts,
Près de la rive où l'eau sur l'obstacle s'écoule
Comme a passé, ma vie à travers le remords.
Je dormirai tranquille au sein de la nature,
Moi qui la chérissais du plus fidèle amour,
Et qui dormais souvent, quand la nuit était pure,
Dehors, sous le grand ciel, jusqu'au lever du jour.
Les paysans viendront par-là deux fois l'année
Pour jeter la semence ou lever la moisson,
Et leur besogne simple une fois terminée
Me laissera paisible, heureux à ma façon.
Mais où donc va mon rêve ! Heureux ! Chimère vaine !
Quel songe de penser qu'un mort peut être bien !
C'en est fait, quand le sang se glace dans la veine ;
Les misérables morts, hélas ! ne sont plus rien.
Toute joie est échue en partage à la vie,
Le calme de la tombe est un mot plein de vent ;
Insensible, il n'a rien du charme qu'on envie,
Pour goûter la mort même il faut être vivant.
Voici l'unique instant d'embrasser tout entière
Cette image funèbre où se plaît ma langueur,
Tant que je suis debout, d'aimer le cimetière,
D'approfondir déjà ce rêve de mon cœur !
Le repos à venir qui maintenant me touche,
Quand il sera réel, pour toujours aura lui,
Et tout ce qu'un tombeau tient d'heureux en sa couche,
Je l'épuise et le sens par avance aujourd'hui.
Il en est de la mort ainsi que de la gloire :
Le privilégié qui voit encor le ciel
A tout, et la durée acquise à la mémoire
N'est pas un bien futur, mais un bien actuel.
Charles de Pomairols (1843-1916)