Le bonheur à deux, de Prosper Blanchemain.
Le bonheur de vivre à deux.
Recueil : Les poésies et sonnets (1868)
Viens ! réfugions-nous ensemble Loin de la foule, loin du bruit,
Loin de cette ville où je tremble
Pour mon bonheur qu'un rien détruit.
Viens ! le logis qui nous recueille
N'a rien d'orgueilleux ni de grand ;
Mais la vigne et le chèvrefeuille
Lui font un ombrage odorant.
Pauvre demeure inaperçue,
Ses murs sont gris et déjà vieux ;
De son toit la tuile moussue
N'attire pas l'œil envieux.
Mais le soleil levant la dore
Au matin d'un premier regard ;
Le soir il la salue encore
Comme une amie à son départ.
Le jardin n'est qu'une corbeille,
Mais il est tout rempli de fleurs ;
Maint papillon et mainte abeille
Du miel y butinent les pleurs ;
Et sur la charmille petite
Que franchit l'oiseau voltigeant,
Le jasmin et la clématite
Ouvrent leurs étoiles d'argent.
Un arbrisseau, de sa verdure,
Y couvre cent êtres unis,
Les uns creusant la terre obscure,
Les autres bâtissant leurs nids.
Sous une feuille un peuple existe :
La mouche y suspend son essor,
La fourmi noire y suit sa piste,
La chenille y tend ses fils d'or.
Un monde entier s'agite et passe
Dans ce coin béni du Seigneur.
À quoi bon chercher plus d'espace ?
En faut-il tant à deux pour le bonheur ?
Prosper Blanchemain (1816-1879)