La beauté des bois, de Charles de Pomairols.
La beauté des bois.
Recueil : Les rêves et pensées (1880)
Un pré, fût-il très vaste et plein d'îles de fleurs, Dans sa libre étendue offre un banal spectacle,
Car on peut d'un coup d'œil l'embrasser sans obstacle
Et saisir d'un regard sa masse de couleurs.
Un bois même petit paraît toujours immense,
Car on ne peut le voir tout entier à la fois,
Et toujours il nous garde en l'ombre des sous-bois
Des recoins inconnus dont l'attrait recommence.
Toujours vus un par un et sans lien entre eux,
Sous les arceaux profonds les détails s'accumulent,
On n'épuise jamais les incidents nombreux,
Et les lointains portés d'arbre en arbre reculent.
Un tronc plus lumineux, des ormes en bouquet,
Une pierre moussue, un nid, une broussaille
Nous font hâter le pas vers l'heureuse trouvaille,
Et le mystère change en un monde un bosquet.
Auprès du même lieu l'on passe et l'on repasse,
Et comme on l'aborda jadis d'un autre point,
L'œil désorienté ne le reconnaît point.
C'est plaisir de se perdre en un si mince espace.
C'est plaisir de trouver sous l'azur étouffant,
À deux pas de son seuil, un pan de forêt vierge
Dont l'ampleur rétrécie encore nous submerge,
Rêve pour le poète et jouet pour l'enfant.
Charles de Pomairols (1843-1916)