L'inquiétude, de Charles-Hubert Millevoye.
L'inquiétude.
Recueil : Élégies (1811)
Sais-tu pourquoi cet inquiet tourment De mon bonheur empoisonne l'ivresse ?
Sais-tu pourquoi dans le plus doux moment
Mon œil distrait se voile de tristesse ?
Pourquoi souvent à ta main qui la presse
Ma froide main répond négligemment ?
Le sais-tu ? Non. Connais donc ma faiblesse.
Ris, tu le peux, de mes travers nouveaux :
Je suis jaloux, et jaloux sans rivaux !
Quand le présent m'enivre de délices,
Dans le passé je cherche des supplices.
Ton cœur, réponds sans nul déguisement,
N'a-t-il battu que pour moi seulement ?
Durant les nuits, à l'heure où tout sommeille,
Jamais, dis-moi, les traits d'un autre amant
N'ont-ils troublé tes songes ni ta veille ?
Tu me dis j'aime, et d'une voix si tendre !
Ce mot charmant, pour moi seul l'as-tu dit ?
Que sais-je ? Un autre avant moi l'entendit
Peut-être !... Eh bien ! je ne puis plus l'entendre.
Pardonne, hélas ! dans mon trouble fatal,
Je te parais injuste, ingrat ; mais j'aime !
Ah ! songe bien que pour l'amour extrême
Un souvenir est encore un rival.
Charles-Hubert Millevoye.