Abandon, de Édouard Turquety.
Abandon.
Recueil : Amour et Foi (1833)
Me voilà seul encore ! — La fraîcheur de l'année, Son parfum passe en vain sur ma tête inclinée.
Ô parfum, ô fraîcheur,
Laissez-moi ; je n'ai plus ma jeune fiancée,
Et rien n'arrachera cette pierre glacée
Qui pèse sur mon cœur.
Rien ne me distraira, pas même sur la branche
Cet oiseau gracieux, cette colombe blanche
Qui fuyait les hivers ;
Pas même le soupir descendu des ramées,
Et pas même ces fleurs, étoiles parsemées
Au bord des gazons verts.
Seul encore ! — Ah ! ce mot redouble ma tristesse :
Si mes lèvres sentaient quelque goutte d'ivresse,
Ce mot viendrait l'aigrir. —
Que faire quand le cœur perd son reste de flamme,
Quand le mal a touché les racines de l'âme
Et qu'on se sent mourir ?
Seul encore ! Si du moins j'obtenais en échange
De tant de pleurs versés, le bonheur de cet ange
Que j'ai vu dans l'effroi !
Mais, non ; — mon triste adieu ne l'aura point calmée,
Hélas ! et je sais trop qu'elle est tout alarmée
Quand elle songe à moi.
Ô Vierge, endormez-la ; consolez-la, Marie ;
Fermez jusqu'au matin sa paupière tarie,
Sa paupière sans pleurs ;
Endormez-la ; — cette âme a besoin de prestige ;
Ne laissez pas les vents secouer sur sa tige
La plus frêle des fleurs.
Semez devant son œil fatigué de la terre
Ces visions d'en haut qu'aucun voile n'altère
Et qu'on ignore ici ;
Montrez-lui dans les cieux sa brillante couronne,
Montrez-lui dans les cieux sa place qui rayonne
Auprès d'Adonaï.
Et quand l'aube revient peupler l'horizon vide,
Ô Vierge, recueillez sa prière limpide
Comme un reflet de jour ;
Et, le soir, laissez-la, cette abeille si pure,
Rapporter pour trésor dans sa cellule obscure
L'espérance et l'amour ;
L'espérance du cœur qui soutient et console,
L'espérance qui place au fond d'une parole
Un miel délicieux ;
L'espérance et l'amour, l'amour, ce divin rêve,
Le plus puissant de tous, le seul qui nous élève
À la hauteur des cieux !
Édouard Turquety.