À l'arbre mort, d'Eugène Goubert.
À l'arbre mort.
Recueil : Les poésies et sonnets intimes (1872)
Beau peuplier, qu'est devenu l'ombrage De tes rameaux, le murmure si doux
Et la fraîcheur de ton épais feuillage
Qui s'étendait au loin autour de nous ?
Tu t'élevas sur les bords de cette onde
Dont le flot pur chaque jour humblement
Baisait tes pieds, et dont le cours féconde
Moissons et fleurs d'un rivage charmant.
En grandissant, ta couronne orgueilleuse
Te fit le roi de tous ces lieux bénis ;
Et les oiseaux d'une chanson joyeuse
Te saluaient en bâtissant leurs nids.
Ils te prenaient pour le plus sûr asile
De leurs amours, et dès que l'aube ouvrait
La porte au jour, c'était nouvelle idylle,
Et le bonheur dans leurs jeux se montrait.
Quand du zéphir la molle et pure haleine
Répand partout de suaves senteurs,
Quand la nature avec les fleurs ramène
Besoin d'aimer au fond de tous les cœurs,
À ton abri, combien de causeries,
De chers projets, combien d'épanchements,
Souvent aussi de feintes bouderies,
De toute part attiraient les amants !
Tu les as vus dans leur douleur muette,
Et, confident de leurs ardents désirs,
Tu recueillis sous ton ombre discrète
Avec leurs pleurs leurs amoureux soupirs.
Depuis, avec des feuilles desséchées,
Un tronc brisé par la flamme des cieux,
Tu gis à terre où tes branches couchées,
Pauvre arbre, hélas ! ne charment plus les yeux !
Ce port si fier et la verdure exquise
De ton écorce où se lit plus d'un nom,
Nom bien aimé, près de tendre devise,
Tout est fini, — jusqu'à ton doux renom ?
Tous les troupeaux évitent ta rencontre,
Et loin de toi s'envolent les oiseaux ;
La tourterelle est la seule qui montre
Quelque pitié pour de si cruels maux.
Car, comme toi, bien triste, abandonnée,
Elle revoit son sort dans ton malheur.
L'écho lointain, seul, de l'infortunée
Dit au vallon la plainte et la douleur.
Et l'on croirait qu'une voix attendrie
Qui de toi-même échappe avec effort,
Tout bas murmure : « Ah ! qu'est-ce que la vie
Si l'arbre aussi doit connaître la mort ! »
Eugène Goubert